Synthèse: vendeurs de rêve

 

Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Doc. 1 : M. Jouve, Communication, Bréal, 2000.
Doc 2 : F. Beigbeder, 99 francs, Grasset, 2000.
Doc 3 : G. Pérec, Les Choses, Julliard, 1965.

source: BTS 2014, Français, annales ABC du BTS, sujets et corrigés, Nathan, 2013

Doc 1.

La publicité donne du rêve – mais se fait aussi rêve, le temps d’un spot (ou d’un songe : on sait que les rêves que l’on croit avoir vécus une nuit entière ne durent qu’un court moment). Même quand elle se veut anecdotique, la publicité emprunte aux rêves (le « rêve endormi », mais aussi le « rêve éveillé » : l’idéal), ses schémas et ses ingrédients :

– il n’y a pas toujours souci de réalisme, ni même de cohérence ;

– il y a condensation du temps, de l’action, de l’espace ; le avant/après est vertigineusement rapide, sans souci de faisabilité ;

– il y a projection dans l’avenir puisque la publicité pousse le consommateur à s’imaginer, rêver dans son futur duplex royal, sur la plage de ses prochaines vacances, après son bain de jouvence… ;

– il y a parfois déformation des êtres et des choses ;

– il y a utilisation des « clefs » que sont les symboles.

La publicité n’a-t-elle pas d’ailleurs souvent pour fond le rêve éveillé (l’idéal) et pour forme le rêve endormi ? Elle se souvient que la fonction rêve est indispensable à l’homme, qu’il en va de sa survie.

Michèle Jouve, Communication, Bréal, 2000.

Doc 2.

Dans son roman d’inspiration autobiographique 99 francs, l’écrivain Frédéric Beigbeder relate son expérience dans la publicité.

             Je me prénomme Octave et m’habille chez APC. Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l’univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver des choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur Photoshop. Images léchées, musiques dans le vent. Quand, à force d’économies, vous réussirez à vous payer la bagnole de vos rêves, celle que j’ai shooté dans ma dernière campagne, je l’aurai déjà démodée. J’ai trois vogues d’avance, et m’arrange toujours pour que vous soyez frustré. Le Glamour, c’est le pays où l’on n’arrive jamais. Je vous drogue à la nouveauté, et l’avantage avec la nouveauté, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas.

                Votre souffrance dope le commerce. Dans notre jargon, on l’a baptisée « la déception post-achat ». Il vous faut d’urgence un produit, mais dès que vous le possédez, il vous en faut un autre. L’hédonisme n’est pas un humanisme : c’est du cash-flow. Sa devise ? « Je dépense donc je suis »*. Mais pour créer des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, l’inassouvissement : telles sont mes munitions, et ma cible, c’est vous.

*: Détournement de la citation de Descartes: « Je pense donc je suis », qui associe l’existence humaine avec la conscience de cette existence.

Frédéric Beigbeder, 99 francs, Grasset, 2000.

Doc 3.

Les deux héros du roman de Georges Perec forment un couple qui cherche le bonheur dans la consommation et le matérialisme, au milieu des années 1960. Ils vivent à Paris dans un petit appartement.

                Certains jours l’absence d’espace devenait tyrannique. Ils étouffaient. Mais ils avaient beau reculer les limites de leurs deux pièces, abattre les murs, susciter des couloirs, des placards, des déménagements, imaginer les penderies modèles, annexer en rêve les appartements voisins, ils finissaient toujours par se retrouver dans ce qui était leur lot, leur seul lot : trente-cinq mètres carrés. (…)

                Mais la seule perspective des travaux mes effrayait. Il leur aurait fallu emprunter, économiser, investir. Ils ne s’y résignaient pas. Le cœur n’y était pas : ils ne pensaient qu’en termes de tout ou rien. La bibliothèque serait de chêne clair ou ne serait pas. Elle n’était pas. Les livres s’empilaient sur deux étagères de bois sale et, sur deux rangs, dans des placards qui n’auraient jamais dû leur être réservés. Pendant trois ans, une prise de courant demeura défectueuse, sans qu’ils se décident à faire venir un électricien, cependant que couraient, sur presque tous les murs, des fils aux épissures grossières et des rallonges disgracieuses. Il leur fallut six mois pour remplacer un cordon de rideaux. Et la plus petite défaillance dans l’entretien quotidien se traduisait en vingt-quatre heures par un désordre que la bienfaisante présence des arbres et des jardins si proches rendait plus insupportable encore.

Le provisoire, le statut quo régnaient en maîtres absolus. Ils n’attendaient plus qu’un miracle. Ils auraient fait venir les architectes, les entrepreneurs, les maçons, les plombiers, les tapissiers, les peintres. Ils seraient partis en croisière et auraient trouvé, à leur retour, un appartement transformé, aménagé, remis à neuf, plein de détails à sa mesure, des cloisons amovibles, des portes coulissantes, un moyen de chauffage efficace et discret, une installation électrique invisible, un mobilier de bon aloi.

Mais entre ces rêveries trop grandes, auxquelles ils s’abandonnaient avec une complaisance étrange, et la nullité de leurs actions réelles, nul projet rationnel, qui aurait concilié les nécessités objectives et leurs possibilités financières, ne venait s’insérer. L’immensité de leurs désirs les paralysait.

Georges Perec, les Choses, Julliard, 1965.

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